Le chat qui va tout seul …

François Raveau © Öznur Baycan, AAPERTURA,2022
François Raveau © Öznur Baycan, AAPERTURA,2022

Hommage à François Raveau

Né en 1928, François Raveau est docteur en anthropologie et professeur agrégé de médecine. Il a été directeur d’études à l’EHESS, notamment au Centre de Recherche et d’Etudes des Dysfonctions de l’Adaptation (CREDA), et professeur associé en anthropologie à Berkeley, Harvard, Oxford, Lisbonne et Macao. Membre fondateur de la Fondation de la Résistance, il est commandeur de la Légion d’honneur, titulaire de la médaille militaire ainsi que de quinze décorations françaises et étrangères. 

À propos de Je suis le chat qui va tout seul (2017), publié aux Presses de la Cité, 2017, Michel Mollard

François Raveau a onze ans quand la guerre éclate. Très précoce intellectuellement, l’école ne lui convient pas. Dès 1940, il est engagé avec ses parents, protestants, dans des opérations de résistance, parfois meurtrières. En avril 1944, il est déporté à Neuengamme, puis Fallersleben et Wöbbelin. Pour ce livre, il est retourné pour la première fois sur les lieux des camps et de sa résistance en Dordogne. Ce livre traite aussi de « l’après » : comment se passe le retour à la vie « normale », pour autant qu’elle le soit ? Il se trouve que François Raveau a participé à nombre d’aventures, en France (du complot du Plan Bleu à Mai 1968), en Amérique Latine (chez des tribus reculées), en URSS ou en Asie. Il a soigné des rescapés des camps nazis et des camps d’Indochine. Il a été l’ami proche de Malraux, de  Gracq, de Koestler, et le psychiatre de  Sartre. Il dresse de ces derniers des portraits savoureux.

JE SUIS LE CHAT QUI VA TOUT SEUL… extrait

 » On ne sait pas à quel moment on s’engage dans la Résistance ! Il n’y a pas de bureau, pas de carte, pas d’insigne sur le col de la veste ! On est contre les Allemands, contre Vichy, mais on ne s’appelle pas « résistant », on n’a pas de statut à part. Si on est à part, c’est parce qu’on s’oppose à un milieu hostile, qu’on est en cavale – tout en restant dans le quotidien. C’est après, en 1945-1946 – et de plus en plus au fil de temps ! – qu’on découvre tout ce que le mot « résistant  » signifie. (…) A aucun moment, nous nous sommes conscient de faire partie de l’Histoire. C’est une plaisanterie de le dire. »

« La définition du bonheur pour moi, c’est un rayon de soleil. A Fallersleben, les levers et les couchers de soleil sont magnifiques.. Oui, un rayon de soleil, même si je suis en train de déblayer des cadavres, et aussi un ramassis de bouffe attrapé au milieu des ruines dans le soleil. Les SS sont loin, il n’y a pas de vent, le silence règne … Je vais vous étonner, mais ces quelques moments-là constituent pour moi un absolu que je ne vais plus jamais retrouver par la suite. »

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Michalengelo Pistoletto

Michelangelo Pistoletto est un artiste italien et représentant de l’art pauvre, une tendance qui crée des œuvres à partir de matériaux humbles, et invite à une réflexion sur les moyens de créer des œuvres.

Pistoletto est né à Biella, Piémont en 1933. Sa première expérience avec l’art s’est déroulée dans l’atelier de son père qui était peintre et restaurateur d’antiquités, il y trouva un miroir où il contempla longtemps son reflet. Il avait environ 14 ans lorsqu’il a découvert son visage et ses détails, et a depuis pris le miroir comme un élément important de ses œuvres. Dans les années 60, il s’est aventuré dans d’autres manifestations artistiques telles que el événement, la performance, théâtre et art vidéo, des moyens créatifs peu connus à l’époque. Il a utilisé des pigments métalliques noirs brillants pour voir leur réflexion sur la surface d’une peinture peinte, depuis lors, il a recherché la surface idéale pour obtenir ces reflets jusqu’à ce qu’il atteigne des plaques en acier inoxydable poli. L’auteur voulait fixer des images dans le miroir qui reflétaient la réalité du monde, sans aucune interprétation, seulement le reflet ou la vérité que le miroir donne. Pour le créateur, le miroir est le grand instrument de la déception, car il détruit l’idée de la durabilité qui rend l’être humain si illusion, de perpétuer l’illusion de quelque chose ou de lui-même, mais le miroir et son reflet nous dit que le temps passe et que nous ne laissons aucune trace.

Entre 1967 et 1968, dans un contexte politique et culturel particulièrement mouvementé, l’artiste italien Michelangelo Pistoletto réalise une série de sculptures qui vont s’avérer déterminantes dans l’histoire de l’art des années d’après-guerre. Il s’agit des Muretti di Stracci, littéralement « petits murs de chiffons ». Ces murs sont faits de briques enrobées dans des chutes de tissu coloré, toutes différentes les unes des autres, engendrant in fine des constructions chamarrées, dont la fonction n’est pas de clôturer un espace ou d’empêcher un franchissement, mais simplement de se montrer en temps qu’œuvres d’art autonomes.

Lorsqu’il s’attèle à cette série, Pistoletto est déjà un artiste reconnu en Italie. Depuis le début des années 1960, il s’est fait connaître par ses peintures réalisées sur miroir, dans lesquelles le spectateur se contemple lui-même en même temps qu’il les regarde. Les Muretti di Stracci opèrent cependant un tournant dans son travail. Il n’est en effet ici plus question de peinture : aux tubes et à la palette se substitue désormais l’amplitude chromatique offerte par la diversité des chiffons colorés. Rebuts de la société de consommation triomphante à l’heure des swinging sixties, ces chiffons sont un matériau banal, insignifiant, auquel il est a priori difficile d’accorder un statut artistique.

Il en va de même pour les briques, qui n’en sont toutefois pas à leur première incursion dans le vocabulaire plastique des artistes contemporains. Ainsi, en 1966, l’Américain Carl André les utilisait déjà dans ses sculptures ; mais si l’artiste minimal s’en était emparé pour leur structure élémentaire et leur pureté formelle, Pistoletto les choisit aussi pour leur charge politique. Les temps sont en effet à la contestation aux quatre coins d’une Europe divisée par des murs, à la fois réels et idéologiques. Et l’Italie n’échappe pas aux soulèvements estudiantins qui se traduiront, en France, par des barricades de pavés.

Ainsi, les Muretti di Stracci posent l’une des premières pierres de ce que le critique d’art Germano Celant appellera bientôt l’Arte povera. Attitude davantage que mouvement à proprement parler, l’Arte povera réunit à Turin un certain nombre d’artistes – Jannis Kounellis, Mario Merz, Luciano Fabro, Alighiero Boetti, Giulio Paolini, Giuseppe Penone, entre autres – unis dans une approche critique de la société de consommation et des institutions culturelles, rejetant à la fois le Pop art américain et l’abstraction européenne. Un art pauvre donc, qui a recours à des matériaux triviaux – sable, bois, terre cuite, cuir, charbon, végétaux, tabac, goudron, corde, cheveux, toile de jute, etc. – pour mieux s’ancrer dans le réel. Un art au diapason de l’époque qui le voit naître, radical et subversif, animé par un esprit de révolte en même temps que de poésie.

En 1998, Pistoletto crée Cittadellate Dans sa ville natale, dans une ancienne usine textile où il a fait place à de jeunes artistes de toutes disciplines et professions, il a reçu des architectes, des créateurs de mode, des politologues, des religieux, des éducateurs et des économistes du monde entier. Dans cet espace, le symbole de la « Troisième paradis », qui n’est rien de plus que le symbole de l’infini mathématique auquel un troisième cercle a été ajouté au centre pour représenter le fini, c’est-à-dire la création, la durée et l’équilibre. C’est un symbole universel d’équilibre et de création.

Conférence Leçons d’artiste – Michelangelo Pistoletto, L’archipel-musée

11 mai 2023 au Musée du Louvre

Michelangelo Pistoletto vit, depuis quarante ans, à l’endroit où il est né, Biella, dans le Piémont. Il a étudié l’écosystème du lieu et a créé une institution, Cittadellarte, qui entreprend de tisser des liens au sein de ce qu’il nomme la « ville-archipel ». Il étendra ici la pensée de l’archipel au musée en s’interrogeant sur les conditions suivant lesquelles le Louvre, dans ses réalités physiques et historiques, peut être considéré comme un « archipel-musée ».

> Réservation Musée du Louvre

Lee

Lee, Ellen Kuras, affiche du film

Issue d’une famille aisée, Elizabeth Miller, connue sous le prénom de Lee, est initiée à la photographie par son père. Après un séjour de quelques mois à Paris en 1925, où elle complète sa formation artistique et culturelle, elle étudie la peinture et le dessin à New York, et entame une carrière de mannequin pour Vogue. De retour à Paris en 1929, elle devient l’assistante du photographe américain Man Ray. Elle pose également pour ses expériences photographiques – solarisations, « rayogrammes », décadrages et jeux de lumière. Par ailleurs, elle se forme aux techniques de prises de vue et aux manipulations lumineuses. En 1931, elle travaille en commun avec Man Ray sur l’album publicitaire Électricité commandé par la Compagnie parisienne de distribution de l’électricité. Ce portfolio imprimé en héliogravure et constitué de dix « rayogrammes » est considéré aujourd’hui comme l’un des ouvrages emblématiques du surréalisme. En 1932, elle tient l’un des premiers rôles dans le film de Jean Cocteau « Le Sang d’un poète ». Lee Miller commence ensuite à publier ses propres photographies : des images de mode modernistes aux contrastes lumineux prononcés et des compositions empreintes d’une esthétique surréaliste – associations d’objets insolites, compositions abstraites, morceaux d’anatomie isolés, mannequins, vitrines, manèges de chevaux de bois.

En 1932, elle retourne à New York, où elle fonde son propre studio qui acquiert rapidement une certaine notoriété. Ses clients sont des agences de publicité, des marques de mode, de parfums et de cosmétiques, des maisons de production cinématographiques et théâtrales. Ses photographies en noir et blanc s’apparentent aux images modernistes du mouvement de la Nouvelle Vision. Le galeriste Julien Levy présente une sélection de ses portraits au cours de deux expositions collectives en 1932, puis organise sa première exposition individuelle, composée de vues d’architecture, de natures mortes et de portraits, en 1933. Entre 1934 et 1939, elle réside au Caire avec son mari, Aziz Eloui Bey, haut fonctionnaire égyptien. Puis elle revient en Europe, où elle vit avec l’artiste anglais Roland Penrose, membre du mouvement surréaliste et proche de Paul Éluard et de Pablo Picasso.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle demeure à Londres, publiant différents articles accompagnés de clichés dans le Vogue britannique, dont elle devient l’un des photographes principaux. Les photographies de mode côtoient des vues documentaires, des portraits et des images de la vie quotidienne sous le Blitz. En 1941, elle publie un ouvrage sur les scènes insolites causées par les bombardements ; dans un esprit surréaliste, Grim Glory: Pictures of Britain under Fire (Une gloire grimaçante, images de la Grande-Bretagne sous le feu, édité par Ernestine Carter) réunit des tirages de mannequins abandonnés dans la rue, de machines à écrire écrasées, de statues couvertes de gravats.

Accréditée comme correspondante de guerre officielle de l’armée américaine pour Vogue Grande-Bretagne en 1942, elle parvient à se rendre sur le front. Ses reportages illustrent différentes réalités, tant les activités d’un hôpital militaire en Normandie que des scènes de rue en Allemagne. En 1945, elle photographie les camps de Buchenwald et de Dachau, témoignant ainsi des horreurs du régime nazi.

Après la guerre, elle poursuit sa collaboration avec Vogue quelques années durant en tant que photographe de mode et de portraits. Puis elle se consacre exclusivement à l’écriture : des articles et des biographies d’artistes qu’elle co-signe avec R. Penrose. Passant avec courage du surréalisme et de la photographie de mode au photojournalisme le plus exigeant.

Lee, une biographie écrite par son fils Antony Penrose, né de son second mariage avec l’artiste surréaliste Roland Penrose. Liz Hannah a été chargée d’adapter l’ouvrage en collaboration avec The Lee Miller Archives, l’institution dédiée à l’œuvre de la photographe et de son mari. La réalisatrice Ellen Kuras – à qui nous devons entre autres la direction de la photographie des films Eternal Sunshine of the Spotless Mind de Michel Gondry, Away We Go de Sam Mendes, The Ballad of Jack and Rose de Rebecca Miller ou encore Coffee and Cigarettes de Jim Jarmusch, réalise son premier long-métrage de fiction sobrement intitulé Lee reviendra sur la carrière de Miller entre 1938 et 1948, années durant lesquelles la photojournaliste officiait pour Vogue et couvrait la Seconde Guerre mondiale. Pour le magazine de mode, elle a immortalisé la guerre sur les côtes normandes en 1944 et documenté l’horreur des camps de concentration. De cette mission, elle n’est pas ressortie indemne et le film devrait également explorer les traumatismes qu’elle a vécus ainsi que son difficile retour à la vie normale. Kate Winslet incarnera Lee Miller, Marion Cotillard se mettra dans la peau de la rédactrice en chef de Vogue, Solange d’Ayen. Jude Law jouera l’artiste Roland Penrose, qui a épousé la photographe, tandis que Josh O’Connor campera le rôle d’Anthony, leur fils. La bande originale devrait être assurée par Alexandre Desplat.

Sortie prochainement en 2023.

Adolfo Kaminsky

Une figure de la Résistance, le « roi des faux-papiers »

Né à Buenos Aires en 1925, dans une famille juive originaire de Russie installée en France en 1932, Adolfo Kaminsky ­travaille comme apprenti teinturier dès l’âge de quinze ans et apprend les rudiments de la chimie. Interné à Drancy en 1943 avec ­sa ­famille, il peut quitter le camp grâce à sa nationalité argentine.

Engagé dans la Résistance à dix-sept ans, il devient, grâce à ses compétences de chimiste, un expert dans la réalisation de faux papiers. Il travaille successivement pour la résistance juive – les Éclaireurs israélites, la Sixième et l’Organisation juive de combat – avant de collaborer avec les ­services secrets de l’armée française jusqu’en 1945. Après la guerre, il fabrique des faux papiers pour la ­Haganah, facilitant l’émigration clandestine des rescapés vers la Palestine, puis pour le groupe Stern, qui s’oppose violemment au mandat britannique.

Connu comme ­« le technicien », dans les années 1950 et 1960, il est le faussaire des réseaux de soutien aux indépendantistes algériens, aux révolutionnaires d’Amérique du Sud et aux mouvements de libération du Tiers-Monde, ainsi qu’aux opposants aux dictatures de l’Espagne, du Portugal et ­de­ la­ Grèce. Autant de combats auxquels il a apporté son concours, au péril de sa vie et au prix de nombreux sacrifices. Resté fidèle à ses conceptions humanistes, il refusera toute collaboration avec les groupes violents qui émergent en Europe dans les années 1970.

Adolfo Kaminsky (1925-2023)

Tema . Akéji

Force et Esprit

« […] Après sa toilette matinale à l’eau glacée d’une source captée plus haut dans la forêt, il s’adonne à la cueillette de baies, de plantes, chasse au sabre le daim ou le sanglier, gibier dont il ne dédaigne pas la chair mais prend soin de ne jamais les faire souffrir. Ou alors il ramasse du bois et des écorces qu’il utilise pour réparer son ermitage. S’il pêche volontiers, il ne pratique pas la culture des terres. Parfois, il s’en va dans la montagne pour de longues expéditions qui exercent à la fois le corps et l’esprit, recueillir dans la montagne graines, fleurs, fruits, écorces, racines, dont il extrait des matières tinctoriales par dessiccation, broyage, distillation ou fermentation, selon des procédés traditionnels ou originaux tenus secrets. Les couleurs mélangent souvent des bruns, des roux, des violets, mais aussi des gris, des bleus, rappelant les champs, les rizières, les rochers, le bois, l’eau et le ciel. Il en va de même des pinceaux, taillant un manche de bois adapté à sa main et jusqu’à la composition de la mèche, provenant de différents animaux : cheval, sanglier, cerf, blaireau, renard, ainsi que le papier 100% végétal qu’il fait sécher au vent, le soumettant au clair de lune ou à l’éclat de la neige. La valeur symbolique du mélange est importante aussi puisque l’âme des animaux demeure active dans l’objet. Même sous des trombes d’eau, Akeji se plonge chaque soir dans sa baignoire : une marmite en fonte bordant sa cabane, accrochée aux flancs du mont Kuramayama. Le savon dans une main, le parapluie dans l’autre. Et puis, dans une solitude que peuplent la voix du vent dans les cèdres ou le fouinement de quelque bête en quête de proie, il travaille à ses œuvres en suivant de son auvent le jeu de la lumière au gré des heures et des saisons. […] »

Voila comment Raymond Voyat décrit le quotidien du maître dans l’étude qu’il a consacré au Maître Akéji : Le Sabre et le Pinceau, (réunissant certaines de ses œuvres et des poèmes tirés des grandes anthologies impériales des VIIIe, Xe et XIIIe siècles, des billets votifs des temples shintô et des enseignements des maîtres en arts martiaux.) On doit à Raymond Voyat, ce spécialiste de la culture japonaise, les rares informations biographiques sur ce personnage considéré comme « trésor vivant » au Japon.

Au printemps 2009, Hervé Desvaux s’est rendu dans l’ermitage d’Akéji situé sur les hauteurs de Kyoto. Ce privilège exceptionnel accordé à un photographe va donner à ce dernier l’idée de réaliser une partie de se tirages argentique en héliogravure au grain, technique de gravure de 1830. Le travail photographique de ce séjour hors du temps, a fait l’objet d’une publication dans la revue Polka, magazine de référence du photo-journalisme.

photos © Hervé Desvaux, Japon, 2009

Téma . Les Mains

Téma / Les Mains

La grotte de Lascaux, que l’on surnomme la « Chapelle Sixtine de l’art Pariétal » abritant des oeuvres vieilles de plus de 17 000 ans

Salvatore Mundi
Antonello de Messine (1430 – 1479)
Tout au long du XVe siècle, le thème du Christ bénissant connaît une grande fortune, ce qui est indissociable de la dévotion privée qui ne cesse de se développer. Les fidèles sont invités à se procurer des peintures de ce type et à méditer devant elles. Ainsi s’instaure une communication directe entre le Chris et le fidèle à travers l’image. Cette relation est mise en exergue par la main gauche du Christ, placée généralement sur un parapet qui coïncide avec le bord inférieur du tableau. Les frontières entre le monde réel et le monde céleste sont abolies par ce procédé et par le regard franc du Christ, admoniteur, et donc acteur.

Prière
Albrecht Dürer, (1471-1528)
Dürer fut de tout temps admiré pour le naturalisme de son dessin. Ainsi dès la XVIe siècle, il fut célébré comme un deuxième Apelle, le grand peintre antique grec admiré pour la virtuosité avec laquelle il parvenait à reproduire la réalité. Ce dessin me touche par son réalisme mais aussi par l’humilité et la vie de labeur que l’on imagine être celles du personnage auquel elles appartiennent. Ces mains sont celles, larges et calleuses, d’un homme qui les utilise au quotidien pour exercer son métier

Saint Jean Baptiste
Leonardo da Vinci (1452 – 1519)
Le torse et le visage de saint Jean-Baptiste se dégagent sur un fond sombre. Il tient un fin crucifix en roseau dans la main gauche et tend la main droite vers le ciel. Dans ce geste, peut-on voir le paradigme de la quête de Léonard, « l’éternel point d’interrogation, le mystère de la création » et dans le sourire du Saint, celui du Sphynx ? L’androgynie du Saint Jean-Baptiste a été interprétée à la lumière de la philosophie néo-chrétienne : saint Jean-Baptiste est le nouvel Adam, l’homme avant le péché, en qui coexistent natures féminine et masculine.

La Cathédrale
Auguste Rodin (1840 -1917) © Musée Rodin
Taillée dans la pierre et laissant apparentes les traces d’outils, La Cathédrale réunit en une même œuvre deux mains droites, appartenant à deux figures distinctes. Elle s’est intitulée L’Arche d’alliance avant de prendre le titre de Cathédrale, qui lui est sans doute donné au moment de la publication des Cathédrales de France par Rodin en 1914. L’espace intérieur qui se dégage de la composition permet d’y voir une correspondance avec l’architecture gothique.

La Main tenant le vide
Alberto Giacometti (1901 – 1966) © Fondation Giacometti

ARMED FORCES Louise Bourgeois (1911-2010) © Louise Bourgeois
Alex Van Gelder Les mains de Louise Bourgeois
Noueuses, nerveuses et ridées par l’âge, les mains de Louise Bourgeois fascinaient. Ses mains sont les sujets de portraits réalisés par l’artiste Alex Van Gelder, qui, à l’invitation de Bourgeois, l’a photographiée dans sa maison de New York au cours de la dernière année de sa vie. Serrées ou bercées, ses mains rappellent nombre de ses œuvres, des formes enlacées de doigts de « Clutching » (1962), à l’écheveau de lignes de ses « Dessins d’insomnie » et aux araignées posées de sa série « Maman ». Les images de Van Gelder sont frappantes, ne montrant que les mains contre le tissu noir de ses vêtements. Ils sont inondés d’intimité et de chaleur, témoignant de sa proximité avec Bourgeois et de la confiance qu’elle lui accorde pour travailler avec elle sur ce projet.

Mère . Maurizio Cattelan (1960) © Maurizio Catalan
L’artiste italien a ici travaillé avec un fakir pour un happening insolite présenté à la Biennale de Venise. 4 fois par jour à raison d’une heure par performance, le fakir était enfoui sous le sable seule ses mains jointes étaient en vue.

Mito, Riflesso
Tano © Agence Apertura

2020.21.22….
Öznur Baycan © Agence Apertura

CARNET IX

Carnet IX, Dans l’oeuvre

Julian Barnes
Metroland (1963)
PART ONE

« A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu », Rimbaud

There is no rule against carrying binoculars in the National Gallery.

« On this particular Wednesday afternoon in the summer of 1963, Toni had the notebook and I had the glasses. So far, it had been a productive visit. There had been the young nun in men’s spectacles who smiled sentimentally at the Arnolfini Wedding, and then, after a few moments, frowned and made a disapproving cluck. There had been the anoraked girl hiker, so transfixed by the Crivelli altarpiece that we simply stood on either side of her and noted the subtlest parting of the lips, the faintest tautening of skin across the cheekbones and the brow (‘Spot anything on the temple your side?’ ‘Zero’ – so Toni wrote down Temple twitch; LHS only). And there had been the man in the chalk-stripe suit, hair precisely parted an inch above his right ear, who twitched and squirmed in front of a small Monet landscape. He puffed out his cheeks, leaned back slowly on his heels, and exhaled like a discreet balloon.

Then we came to one of our favourite rooms, and one of our most useful pictures: Van Dyck’s equestrian portrait of Charles I. A middle-aged lady in a red mackintosh was sitting in front of it. Toni and I walked quietly to the padded bench at the other end of the room, and pretended interest in a tritely jocund Franz Hals. Then, while he shielded me, I moved forward a little and focussed the glasses on her. We were far enough away for me to be able to whisper notes to Toni quite safely; if she heard anything, she’d take it for the usual background murmur of admiration and assent.

The gallery was fairly empty that afternoon, and the woman was quite at ease with the portrait. I had time to impart a few speculative biographical details. »

Version FR

Il n’y a pas de règle interdisant de porter des jumelles à la National Gallery.

En ce mercredi après-midi particulier de l’été 1963, Toni avait le cahier et j’avais les lunettes. Jusqu’à présent, cela avait été une visite productive. Il y avait eu la jeune religieuse à lunettes d’homme qui souriait sentimentalement aux noces d’Arnolfini, puis, au bout de quelques instants, fronça les sourcils et poussa un gloussement désapprobateur. Il y avait eu la randonneuse anorakée, tellement fascinée par le retable de Crivelli que nous nous sommes simplement tenus de chaque côté d’elle et avons noté la séparation la plus subtile des lèvres, la plus faible tension de la peau sur les pommettes et le front (« repérez quoi que ce soit sur la tempe de ton côté ? » « Zéro » – alors Toni a noté Twitch Temple ; LHS seulement). Et il y avait eu l’homme en costume à rayures craie, les cheveux séparés à un centimètre près au-dessus de son oreille droite, qui s’agitait et se tortillait devant un petit paysage de Monet. Il gonfla les joues, s’appuya lentement sur ses talons et expira comme un ballon discret.

Ensuite, nous sommes arrivés à l’une de nos pièces préférées et à l’une de nos images les plus utiles : le portrait équestre de Charles Ier par Van Dyck. Une dame d’âge moyen vêtue d’un mackintosh rouge était assise devant. Toni et moi avons marché tranquillement jusqu’au banc capitonné à l’autre bout de la pièce et avons fait semblant de nous intéresser à un Franz Hals banal. Puis, pendant qu’il me protégeait, je m’avançai un peu et focalisai mes lunettes sur elle. Nous étions assez loin pour que je puisse chuchoter des notes à Toni en toute sécurité ; si elle entendait quelque chose, elle le prendrait pour le murmure habituel d’admiration et d’assentiment.

La galerie était assez vide cet après-midi-là, et la femme était tout à fait à l’aise avec le portrait. J’ai eu le temps de donner quelques détails biographiques spéculatifs.

INSTANT XXXIV

Les Cerisiers en Fleurs parlent de beauté, de vie et de mort. Elles [les toiles] sont excessives – presque vulgaires. Comme Jackson Pollock abîmé par l’amour. Elles sont ornementales mais peintes d’après nature. Elles évoquent le désir et la manière dont on appréhende les choses qui nous entourent et ce qu’on en fait, mais elles montrent aussi l’incroyable et éphémère beauté d’un arbre en fleurs dans un ciel sans nuages. 

Damien Hirst

> 2021 – Exposition Damien, Hirst, Cerisier en Fleurs à la Fondation Cartier, Paris, photo © AAPERTURA